L'amour courtois, tu en as déjà
entendu parlé ? Il s'agit d'une mode apparue dans le Sud de la
France durant le 12e siècle. Démodé ? Barbare ? Tu
verras que les chevaliers et autres troubadours étaient plutôt du
genre romantiques !
Le poème qu'on va lire aujourd'hui a
été écrit pas Bernart de Ventadour. Il était fils d'une
boulangère et d'un homme d'armes. Il devient bientôt un troubadour
et tombe amoureux... d'Aliénor d'Aquitaine. C'est un amour qui
risque de ne mener à rien 1) parce qu'elle est duchesse, 2) parce
qu'elle est mariée au roi Henri II. Bref, c'est un peu mort pour le
pauvre Bernard.
Avant de commencer, sache que le poème,
à l'origine, était en occitan (un dialecte du Sud de la France). A
cette période-là, le français n'est pas encore parler dans toute
la France. Tu ne m'en veux pas, j'espère.
Ce n'est pas étonnant si je chante
Mieux que tous les autres chanteurs :
Mon cœur répond plus fort à l'appel
de l'amour
Et j'obéis mieux à ses ordres !
Cœur et corps, savoir et sens,
Force et pouvoir : je lui ai tout
donné,
Si bien que je ne me l'applique à rien
d'autre
(…)
Première petite remarque : il
chante. C'est un troubadour. Ces hommes allaient de châteaux en
châteaux raconter les dernières nouvelles et déclamer leurs
poèmes. C'était un peu la télévision de l'époque. Le tout se
faisait de manière chantée !
Dans cette première strophe, il
apparaît clairement que l'amour éprouvé par le poète est un amour
fou, déraisonné. Cet amour courtois existe aussi chez les
chevaliers. Il leur donne une ligne de conduite précise : les
chevaliers doivent tout faire pour plaire à la Dame aimée (et
canalisent donc leur violence).
Quand je la vois, tout témoigne de mon
désir :
Mes yeux, mon visage, ma pâleur.
Aussitôt je tremble de peur
Comme une feuille dans le vent
Et je n'ai pas plus de sens qu'un petit
enfant...
Voilà comment je suis prisonnier
d'Amour.
Ah ! Que d'un homme ainsi conquis,
Une Dame peut avoir grand pitié !
Comme je l'ai dit plus haut, l'amour
ressenti par le poète est un amour impossible. Dans l'amour
courtois, la femme aimée est toujours inaccessible. Pourquoi ?
1) Parce que sa condition sociale est
plus élevée que la sienne
2) Parce que cette femme est mariée
ou promise à un autre homme.
On retrouve cela, notamment, dans les récits de la table ronde. Lancelot est clairement un chevalier courtois. Du coup, cette femme est idéalisée,
fantasmée.
Bonne Dame, je ne vous demande
Que d'être accepté pour serviteur.
Je vous servirai en bon seigneur,
Quelle que soit ma récompense.
Me voici à vos ordres :
Etre noble et doux, gai, courtois !
Vous n'êtes point un ours ni un lion,
Vous ne me tuerez pas, si je me rends à
vous !
L'autre caractéristique de l'amour
courtois est la totale soumission du poète à sa belle. A l'époque
féodale, la société était très hiérarchisée. Il y avait un
seigneur qui protégeait son vassal. En échange, ce serviteur devait
obéissance et fidélité totale à son suzerain. On retrouve
exactement le même schéma das l'amour courtois ou fin'amor (en
occitan). La Dame occupe, tu l'as compris, la place du seigneur
tandis que l'amoureux, celui du vassal.
Je t'entends venir avec tes questions.
Si la femme occupait une position tellement supérieure dans l'esprit
des hommes, a-t-elle, pour autant, du pouvoir ou une quelconque
autonomie ? En réalité, l'amour, le vrai, au Moyen-âge est
mis entre parenthèses chez les nobles. Le mariage est toujours une
affaire stratégique, permettant à des familles de s'allier.
Ni les
jeunes femmes, ni les jeunes hommes n'ont grand chose à dire dans le
choix de leur époux(se). Comme je te l'ai dit, dans l'amour
courtois, la femme est idéalisée. Ce n'est pas de la « vraie »
Aliénor qu'on parle ici ; mais de l'image trop trop bien que
s'en est fait le poète. Pas certain que Bernart le troubadour soit
aussi galant avec les servantes de la cour d'Aquitaine...