vendredi 15 novembre 2013

L'amour courtois selon Bernart de Ventadour (1125)



L'amour courtois, tu en as déjà entendu parlé ? Il s'agit d'une mode apparue dans le Sud de la France durant le 12e siècle. Démodé ? Barbare ? Tu verras que les chevaliers et autres troubadours étaient plutôt du genre romantiques ! 
Le poème qu'on va lire aujourd'hui a été écrit pas Bernart de Ventadour. Il était fils d'une boulangère et d'un homme d'armes. Il devient bientôt un troubadour et tombe amoureux... d'Aliénor d'Aquitaine. C'est un amour qui risque de ne mener à rien 1) parce qu'elle est duchesse, 2) parce qu'elle est mariée au roi Henri II. Bref, c'est un peu mort pour le pauvre Bernard.




Avant de commencer, sache que le poème, à l'origine, était en occitan (un dialecte du Sud de la France). A cette période-là, le français n'est pas encore parler dans toute la France. Tu ne m'en veux pas, j'espère.

Ce n'est pas étonnant si je chante
Mieux que tous les autres chanteurs :
Mon cœur répond plus fort à l'appel de l'amour
Et j'obéis mieux à ses ordres !
Cœur et corps, savoir et sens,
Force et pouvoir : je lui ai tout donné,
Si bien que je ne me l'applique à rien d'autre
(…)



Première petite remarque : il chante. C'est un troubadour. Ces hommes allaient de châteaux en châteaux raconter les dernières nouvelles et déclamer leurs poèmes. C'était un peu la télévision de l'époque. Le tout se faisait de manière chantée !
Dans cette première strophe, il apparaît clairement que l'amour éprouvé par le poète est un amour fou, déraisonné. Cet amour courtois existe aussi chez les chevaliers. Il leur donne une ligne de conduite précise : les chevaliers doivent tout faire pour plaire à la Dame aimée (et canalisent donc leur violence).

Quand je la vois, tout témoigne de mon désir :
Mes yeux, mon visage, ma pâleur.
Aussitôt je tremble de peur
Comme une feuille dans le vent
Et je n'ai pas plus de sens qu'un petit enfant...
Voilà comment je suis prisonnier d'Amour.
Ah ! Que d'un homme ainsi conquis,
Une Dame peut avoir grand pitié !



Comme je l'ai dit plus haut, l'amour ressenti par le poète est un amour impossible. Dans l'amour courtois, la femme aimée est toujours inaccessible. Pourquoi ?
     1) Parce que sa condition sociale est plus élevée que la sienne
    2) Parce que cette femme est mariée ou promise à un autre homme. 
On retrouve cela, notamment, dans les récits de la table ronde. Lancelot est clairement un chevalier courtois. Du coup, cette femme est idéalisée, fantasmée.

Bonne Dame, je ne vous demande
Que d'être accepté pour serviteur.
Je vous servirai en bon seigneur,
Quelle que soit ma récompense.
Me voici à vos ordres :
Etre noble et doux, gai, courtois !
Vous n'êtes point un ours ni un lion,
Vous ne me tuerez pas, si je me rends à vous !



L'autre caractéristique de l'amour courtois est la totale soumission du poète à sa belle. A l'époque féodale, la société était très hiérarchisée. Il y avait un seigneur qui protégeait son vassal. En échange, ce serviteur devait obéissance et fidélité totale à son suzerain. On retrouve exactement le même schéma das l'amour courtois ou fin'amor (en occitan). La Dame occupe, tu l'as compris, la place du seigneur tandis que l'amoureux, celui du vassal.  

Je t'entends venir avec tes questions. Si la femme occupait une position tellement supérieure dans l'esprit des hommes, a-t-elle, pour autant, du pouvoir ou une quelconque autonomie ? En réalité, l'amour, le vrai, au Moyen-âge est mis entre parenthèses chez les nobles. Le mariage est toujours une affaire stratégique, permettant à des familles de s'allier. 
Ni les jeunes femmes, ni les jeunes hommes n'ont grand chose à dire dans le choix de leur époux(se). Comme je te l'ai dit, dans l'amour courtois, la femme est idéalisée. Ce n'est pas de la « vraie » Aliénor qu'on parle ici ; mais de l'image trop trop bien que s'en est fait le poète. Pas certain que Bernart le troubadour soit aussi galant avec les servantes de la cour d'Aquitaine...