Pierre de Ronsard a écrit un sonnet à sa chérie. Je vous vois d'ici : quelle époque romantique, quel homme galant, ce Ronsard... On n'en fait plus des ça aujourd'hui... Mais qui dit poème, ne dit pas forcément déclaration d'amour. Voyons si Ronsard est vraiment aussi galant qu'il en a l'air...
La première strophe, franchement, séduirait n'importe laquelle d'entre vous... Vrai, non ?
"Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit declose (ouvert)
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée (soir)
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Lors d'un bal, Pierre de Ronsard rencontre la jeune Cassandre. Il a 21 ans et elle n'en a que 13. Il tombe immédiatement sous le charme. Mais ce vieux Ronsard n'est pas dupe : Si elle est jeune et jolie aujourd'hui, elle finira par devenir vieille et moche moins jolie !
En grand romantique, Ronsard emmène sa douce gambader dans les roses. Il va même jusqu'à la comparer à cette fleur : elles ont toutes les deux une robe rouge qui s'ouvre au soleil (remarque l'érotisme de l'époque, quel coquin ce Ronsard) et un teint de pêche. Mooh :) C'est mignon tout plein.
Faisons un peu de théorie avant de continuer. Le poème débute par l'interpellation "mignonne", qui désigne la jeune Cassandre. Tout au long du poème, ce "mignonne" sera mis en évidence, séparé par des virgules. Le poète insiste donc sur la beauté de Cassandre (elle est vraiment trop mignonne). A vrai dire, c'est tout ce qu'on sait d'elle (peut-être qu'elle est complètement stupide) ! Dans cette première strophe, Ronsard compare sa belle à une rose ! Mignon, non ? Attendez la suite !
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Hélas, les roses, si jolies le matin, ont perdu leur fraîcheur au cours de la nuit (vesprée). Le poète marque son désappointement en répétant trois fois "las".
En réalité, Ronsard est rusé ! Après l'avoir comparé aux roses, il l'emmène en voir. Malheureusement, entre temps, les roses ont fânés. Ronsard fait donc passer un message à la jeune fille : Ok tu es jeune et jolie, mais un jour, tu te fâneras comme ces fleurs ; la beauté ne dure qu'un bref instant ! Pas très galant, le Ronsard...
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Mais Ronsard, qui est déjà passé par cette jeunesse, termine son poème par un conseil de vieux sage. Cassandre doit profiter de sa jeunesse et de sa beauté. Ainsi, quand elle sera vieille et flétrie, elle n'aura aucun regret...
Dans cette dernière strophe , on distingue clairement à quelle philosophie le poète fait référence : Carpe diem (cueille le jour // cueillez votre jeunesse). Ce thème de la beauté fânée et de l'invitation à profiter de sa jeunesse sera utilisé par de très nombreux poètes français et étrangers. Tous rencontrent une jeunette et, avec leur sagesse d'hommes plus mûrs, leur conseillent de profiter de cette jeunesse si vite passée.
Ainsi, un siècle plus tard, Corneille utilise à nouveau cette recette qui a fait ses preuves. On y retrouve tout : le carpe diem, les roses fânées et le poète jaloux de la jeunesse de son amante !
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis
Au 20e siècle, Brassens reprend le poème de Corneille pour le mettre en musique. Il y ajoute un couplet : la réponse de la Marquise ! Juge plutôt...
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant,
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant !
Et toi, t'aurais répondu quoi à Ronsard et à Corneille ?