lundi 20 mai 2013

Mignonne, allons voir si la rose... (A Cassandre) Ronsard (1545)


Pierre de Ronsard a écrit un sonnet à sa chérie. Je vous vois d'ici : quelle époque romantique, quel homme galant, ce Ronsard... On n'en fait plus des ça aujourd'hui... Mais qui dit poème, ne dit pas forcément déclaration d'amour. Voyons si Ronsard est vraiment aussi galant qu'il en a l'air...



La première strophe, franchement, séduirait n'importe laquelle d'entre vous... Vrai, non ?

"Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit declose (ouvert)
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée (soir)
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.


Lors d'un bal, Pierre de Ronsard rencontre la jeune Cassandre. Il a 21 ans et elle n'en a que 13. Il tombe immédiatement sous le charme. Mais ce vieux Ronsard n'est pas dupe : Si elle est jeune et jolie aujourd'hui, elle finira par devenir vieille et moche moins jolie !


En grand romantique, Ronsard emmène sa douce gambader dans les roses. Il va même jusqu'à la comparer à cette fleur : elles ont toutes les deux une robe rouge qui s'ouvre au soleil (remarque l'érotisme de l'époque, quel coquin ce Ronsard) et un teint de pêche. Mooh :) C'est mignon tout plein.


Faisons un peu de théorie avant de continuer. Le poème débute par l'interpellation "mignonne", qui désigne la jeune Cassandre. Tout au long du poème, ce "mignonne" sera mis en évidence, séparé par des virgules. Le poète insiste donc sur la beauté de Cassandre (elle est vraiment trop mignonne). A vrai dire, c'est tout ce qu'on sait d'elle (peut-être qu'elle est complètement stupide) ! Dans cette première strophe, Ronsard compare sa belle à une rose ! Mignon, non ? Attendez la suite !


Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !



Hélas, les roses, si jolies le matin, ont perdu leur fraîcheur au cours de la nuit (vesprée). Le poète marque son désappointement en répétant trois fois "las".

En réalité, Ronsard est rusé ! Après l'avoir comparé aux roses, il l'emmène en voir. Malheureusement, entre temps, les roses ont fânés. Ronsard fait donc passer un message à la jeune fille : Ok tu es jeune et jolie, mais un jour, tu te fâneras comme ces fleurs ; la beauté ne dure qu'un bref instant ! Pas très galant, le Ronsard...


Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse : 
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

Mais Ronsard, qui est déjà passé par cette jeunesse, termine son poème par un conseil de vieux sage. Cassandre doit profiter de sa jeunesse et de sa beauté. Ainsi, quand elle sera vieille et flétrie, elle n'aura aucun regret...


Dans cette dernière strophe , on distingue clairement à quelle philosophie le poète fait référence : Carpe diem (cueille le jour // cueillez votre jeunesse). Ce thème de la beauté fânée et de l'invitation à profiter de sa jeunesse sera utilisé par de très nombreux poètes français et étrangers. Tous rencontrent une jeunette et, avec leur sagesse d'hommes plus mûrs, leur conseillent de profiter de cette jeunesse si vite passée.


Ainsi, un siècle plus tard, Corneille utilise à nouveau cette recette qui a fait ses preuves. On y retrouve tout : le carpe diem, les roses fânées et le poète jaloux de la jeunesse de son amante !

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis


Au 20e siècle, Brassens reprend le poème de Corneille pour le mettre en musique. Il y ajoute un couplet : la réponse de la Marquise ! Juge plutôt...

Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant,
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant !


Et toi, t'aurais répondu quoi à Ronsard et à Corneille ?

Demain, dès l'aube. Victor Hugo (1856)

On commence avec un poème ultra connu, que tu as sans doute dû réciter quand t'étais étudiant. Mais as-tu déjà pris le temps de bien observé comment ce grand Victor Hugo l'avait construit et as-tu ressenti tout le tragique du poème ! Regarde plutôt :

" Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne 
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. 
J'irai par la forêt, j'irai par les montagne. 
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps."


Le poète est déterminé à partir dès demain ! Il se dit prêt à traverser des forêts et des montagnes. Le chemin semble long jusqu'au mystérieux but du poète.  A ce moment du poème, la grande question que tu te poses est sans doute : Mais qui est donc cette personne qui l'attend ? Son amante (Hugo était un peu coureur de jupons) ? En tout cas, tout laisse penser que c'est une personne pour laquelle il serait prêt à tout...



Dans ce premier quatrain, le poète (je) s'adresse à un "tu" dont tu ignores tout. En étant rejeté au début du deuxième vers, le verbe PARTIR met en évident l'idée d'un départ, d'un mouvement. Le poète parle d'une intention qu'il réalisera sous peu. Il s'agit d'un futur proche. Ce qui anime le poète, c'est la volonté d'un rapprochement entre son "je" et ce "tu". 


" Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, 
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, 
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, 
 Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit."


Chose étrange, toutefois... Le poète semble en pleine prise de tête avec lui-même. Il regarde à l'intérieur de ses propres pensées. Autour de lui, tout semble flou. Il ne regarde pas la direction qu'il suit ; il ne fixe pas son objectif. Ce quatrain plombe un peu l'ambiance. Tu t'attendais à ce qu'il soit tout emballé de retrouver ce mystérieux "tu"... Et en fait, non.



Un sentiment de solitude et de tristesse envahit le poème. Tu ne comprends plus grand chose... Où se rend le poète ? Qui est ce "tu" ? Je te vois gagné par le suspens...



Au niveau de la forme, ce deuxième quatrain est marqué par la tristesse et la nostalgie. Remarque les nombreuses virgules qui rythment cette strophe. Dans les 3 premiers vers, le nombre de virgules double à chaque nouveau vers. Cette technique rend la lecture, comme la marche du poète, de plus en plus lente. Dans ce quatrain, le "tu" est absent ; le poète te parle uniquement de lui.


" Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,  
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe 
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur."

Tout comme le poème, le voyage touche à sa fin. Tu viens enfin de découvrir ce que le poète avait derrière la tête : déposer un bouquet sur la tombe du fameux "tu". Je te vois déçu que ce suspens intenable soit rompu de la sorte... Mais reconnaît que, du coup, ça te fous un sacré coup au moral.


Ce dernier quatrain nous apprend l'endroit où souhaite se rendre le poète : une tombe. "Tombe" constitue une rime riche et t'annonce, dès le premier vers, la triste issue du poème. Cette rime est contrebalancée par une autre : "fleur". Ces deux seules rimes te résument le projet du poète.
On retrouve le "tu" sous la forme d'un pronom possessif : TA tombe, qui symbolise aujourd'hui ce "tu" disparu.





Je te vois frustré. Je n'ai toujours pas répondu à ta question. Mais qui est ce "tu" pour finir ?! Ce "tu", c'est Léopoldine, la fille de Victor Hugo, morte noyée quelques années plus tôt. A l'anniversaire de sa mort, le poète faisait un pèlerinage jusqu'à sa tombe. Exilé suite à certaines de ses publications (à l'époque on n'écrivait pas trop ce qu'on voulait), Hugo souffre de ne pouvoir y aller cette année-là.  Le recueil Les Contemplations comprend toute une partie sur le thème du deuil, de la nostalgie et de la douleur éprouvée par un père lorsqu'il perd sa fille. 

Ok, je te l'accorde, j'ai plombé l'ambiance. Mais quand tu ne réciteras plus ce poème comme un âne. Maintenant que tu sais tout, t'éprouveras un peu de compassion pour ce pauvre Victor.