vendredi 18 juillet 2014

La Rose et le Réséda, Louis Aragon (1943)


Louis Aragon <3

Auteur des plus beaux poèmes d'amour (pour moi), mais pas que ! Lis plutôt ce poème (un peu longuet, je te l'accorde, mais il en vaut la peine !).

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

A la première lecture, la Rose et le Réséda doit te sembler être une sorte de ritournelle, une comptine pour enfants.



C'est normal, c'est dû à plusieurs choses :
  1. On te présente deux chevaliers prêts à tout pour sauver la belle emprisonnée. Ca te fait sans doute penser aux contes de fée de ton enfance.
  2. Les nombreuses répétitions... Sauras-tu toutes les retrouver ?
    - certains sons (Vive et qui vivra verra ou Au cœur du commun combat). 
    - certains mots (Lequel (v.) ou rebelle (v.))
    - certaines phrases (Celui qui croyait au ciel...)
  3. L'impression qu'on pourrait chanter le texte. C'est la musicalité ! On la doit 
    - aux nombreuses répétitions
    - aux vers impairs qui, dans ta douce oreille, sonnent plus musicaux que les pairs. Si, si, tu peux compter, ce sont des heptasyllabes ! 
    - La présence d'un refrain composé de deux vers : « Celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas ».

Mais tu t'en doutes, le poème est bien plus profond que ça. Attardons-nous sur le titre : la Rose et le Réséda. Deux fleurs parmi tant d'autres. Pourquoi celles-là ? Et c'est là que tout s'éclaire ! Souviens-toi que ce poème a été écrit clandestinement en 1943 par un auteur très engagé.


La Rose, c'est le symbole des communistes, athées. Le Réséda, par contre, représente plutôt la droite et les catholiques. Les deux protagonistes du poèmes : celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas, sont donc deux hommes que tout oppose.

Et pourtant.... Dans les quatre premières strophes (v.1 → v.24), on comprend que ces deux hommes vont mettre leurs convictions de côtés et, ensemble, défendre la France, la belle prisonnière des Allemands. Qu'importe leurs croyances, leur milieu, tous deux vont se mettre du côté de ceux qui résistent et unir leurs efforts. Sous cet éclairage, les vers 23 et 24 prennent tout leur sens :

« Fou qui songe à ses querelles / Au cœur d'un commun combat ».


Hélas, comme tu l'as compris, du sang va couler. Dans les strophes 5 à 8, on apprend que, tout comme leur combat, leur sort sera semblable. L'un meurt, tué par une sentinelle. L'autre est fait prisonnier, puis est exécuté. Tu remarqueras qu'on ne précise pas lequel est le catho et lequel est le communiste. Ce qu'Aragon veut nous faire comprendre, c'est que leur destin est mêlé et, au final, l'issue sera la même pour tous les deux.

Mais le combats et le sort de ces deux résistants, présentés comme des martyrs, ne sera pas vain. Regarde la neuvième strophe: ce sang qui a coulé fertilisera la terre. Bientôt, du raisin y fleurira à nouveau, la France sera en paix et ce sera grâce à eux.

La dernière strophe, enfin, est un peu plus longue. L'auteur prend du recul par rapport à cette histoire et balaye l'ensemble de la France : de la Bretagne au Jura. Pour finir, le poème s'achève dans une énumération de choses différentes et pourtant la même fonction (des fruits, des instruments, des oiseaux et des fleurs).


Louis Aragon est le seul surréalistes qui s'est durablement impliqué dans le communisme. Durant la guerre, le poète s'engage dans un combat anti-nazi. Il publie ce poème en 1944, dans un recueil « La Diane française ». Tous les poèmes de ce recueil ont la résistance comme thème principal. Ce recueil est dédié à quatre résistants français : Guy MôquetGabriel PériHonoré d'Estienne d'Orves et Gilbert Dru. Ces quatre résistants avaient des orientations politiques et religieuses toutes différentes. 

Et pourtant...