Auteur
des plus beaux poèmes d'amour (pour moi), mais pas que ! Lis
plutôt ce poème (un peu longuet, je te l'accorde, mais il en vaut
la peine !).
Celui
qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux
adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à
l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au
ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment
s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la
chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au
ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient
fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux
disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait
au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous
la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses
querelles
Au coeur du commun combat
Celui
qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la
citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre
tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y
croyait pas
|
Ils
sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus
que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui
croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un
rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient
l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait
au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de
celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge
ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au
ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se
mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison
nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au
ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des
ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le
grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double
amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le
réséda
|
A
la première lecture, la Rose et le Réséda doit te
sembler être une sorte de ritournelle, une comptine pour enfants.
C'est
normal, c'est dû à plusieurs choses :
- On te présente deux chevaliers prêts à tout pour sauver la belle emprisonnée. Ca te fait sans doute penser aux contes de fée de ton enfance.
- Les nombreuses répétitions... Sauras-tu toutes les retrouver ?- certains sons (Vive et qui vivra verra ou Au cœur du commun combat).- certains mots (Lequel (v.) ou rebelle (v.))- certaines phrases (Celui qui croyait au ciel...)
- L'impression qu'on pourrait chanter le texte. C'est la musicalité ! On la doit- aux nombreuses répétitions- aux vers impairs qui, dans ta douce oreille, sonnent plus musicaux que les pairs. Si, si, tu peux compter, ce sont des heptasyllabes !- La présence d'un refrain composé de deux vers : « Celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas ».
Mais
tu t'en doutes, le poème est bien plus profond que ça.
Attardons-nous sur le titre : la Rose et le Réséda.
Deux fleurs parmi tant d'autres. Pourquoi celles-là ? Et c'est
là que tout s'éclaire ! Souviens-toi que ce poème a été
écrit clandestinement en 1943 par un auteur très engagé.
La
Rose, c'est le symbole des communistes, athées. Le Réséda, par
contre, représente plutôt la droite et les catholiques. Les deux
protagonistes du poèmes : celui qui croyait au ciel et celui
qui n'y croyait pas, sont donc deux hommes que tout oppose.
Et
pourtant.... Dans les quatre premières strophes (v.1 → v.24), on
comprend que ces deux hommes vont mettre leurs convictions de côtés
et, ensemble, défendre la France, la belle prisonnière des
Allemands. Qu'importe leurs croyances, leur milieu, tous deux vont se
mettre du côté de ceux qui résistent et unir leurs efforts. Sous
cet éclairage, les vers 23 et 24 prennent tout leur sens :
« Fou
qui songe à ses querelles / Au cœur d'un commun combat ».
Hélas,
comme tu l'as compris, du sang va couler. Dans les strophes 5 à 8,
on apprend que, tout comme leur combat, leur sort sera semblable.
L'un meurt, tué par une sentinelle. L'autre est fait prisonnier,
puis est exécuté. Tu remarqueras qu'on ne précise pas lequel est
le catho et lequel est le communiste. Ce qu'Aragon veut nous faire
comprendre, c'est que leur destin est mêlé et, au final, l'issue
sera la même pour tous les deux.
Mais
le combats et le sort de ces deux résistants, présentés comme des
martyrs, ne sera pas vain. Regarde la neuvième strophe: ce sang qui
a coulé fertilisera la terre. Bientôt, du raisin y fleurira à
nouveau, la France sera en paix et ce sera grâce à eux.
La
dernière strophe, enfin, est un peu plus longue. L'auteur prend du
recul par rapport à cette histoire et balaye l'ensemble de la
France : de la Bretagne au Jura. Pour finir, le poème s'achève
dans une énumération de choses différentes et pourtant la même
fonction (des fruits, des instruments, des oiseaux et des fleurs).
Louis
Aragon est le seul surréalistes qui s'est durablement impliqué dans
le communisme. Durant la guerre, le poète s'engage dans un combat
anti-nazi. Il publie ce poème en 1944, dans un recueil « La
Diane française ». Tous les poèmes de ce recueil ont la
résistance comme thème principal. Ce recueil est dédié à quatre
résistants français : Guy
Môquet, Gabriel
Péri, Honoré
d'Estienne d'Orves et Gilbert
Dru. Ces quatre résistants avaient des orientations politiques et
religieuses toutes différentes.
Et
pourtant...
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