vendredi 15 novembre 2013

L'amour courtois selon Bernart de Ventadour (1125)



L'amour courtois, tu en as déjà entendu parlé ? Il s'agit d'une mode apparue dans le Sud de la France durant le 12e siècle. Démodé ? Barbare ? Tu verras que les chevaliers et autres troubadours étaient plutôt du genre romantiques ! 
Le poème qu'on va lire aujourd'hui a été écrit pas Bernart de Ventadour. Il était fils d'une boulangère et d'un homme d'armes. Il devient bientôt un troubadour et tombe amoureux... d'Aliénor d'Aquitaine. C'est un amour qui risque de ne mener à rien 1) parce qu'elle est duchesse, 2) parce qu'elle est mariée au roi Henri II. Bref, c'est un peu mort pour le pauvre Bernard.




Avant de commencer, sache que le poème, à l'origine, était en occitan (un dialecte du Sud de la France). A cette période-là, le français n'est pas encore parler dans toute la France. Tu ne m'en veux pas, j'espère.

Ce n'est pas étonnant si je chante
Mieux que tous les autres chanteurs :
Mon cœur répond plus fort à l'appel de l'amour
Et j'obéis mieux à ses ordres !
Cœur et corps, savoir et sens,
Force et pouvoir : je lui ai tout donné,
Si bien que je ne me l'applique à rien d'autre
(…)



Première petite remarque : il chante. C'est un troubadour. Ces hommes allaient de châteaux en châteaux raconter les dernières nouvelles et déclamer leurs poèmes. C'était un peu la télévision de l'époque. Le tout se faisait de manière chantée !
Dans cette première strophe, il apparaît clairement que l'amour éprouvé par le poète est un amour fou, déraisonné. Cet amour courtois existe aussi chez les chevaliers. Il leur donne une ligne de conduite précise : les chevaliers doivent tout faire pour plaire à la Dame aimée (et canalisent donc leur violence).

Quand je la vois, tout témoigne de mon désir :
Mes yeux, mon visage, ma pâleur.
Aussitôt je tremble de peur
Comme une feuille dans le vent
Et je n'ai pas plus de sens qu'un petit enfant...
Voilà comment je suis prisonnier d'Amour.
Ah ! Que d'un homme ainsi conquis,
Une Dame peut avoir grand pitié !



Comme je l'ai dit plus haut, l'amour ressenti par le poète est un amour impossible. Dans l'amour courtois, la femme aimée est toujours inaccessible. Pourquoi ?
     1) Parce que sa condition sociale est plus élevée que la sienne
    2) Parce que cette femme est mariée ou promise à un autre homme. 
On retrouve cela, notamment, dans les récits de la table ronde. Lancelot est clairement un chevalier courtois. Du coup, cette femme est idéalisée, fantasmée.

Bonne Dame, je ne vous demande
Que d'être accepté pour serviteur.
Je vous servirai en bon seigneur,
Quelle que soit ma récompense.
Me voici à vos ordres :
Etre noble et doux, gai, courtois !
Vous n'êtes point un ours ni un lion,
Vous ne me tuerez pas, si je me rends à vous !



L'autre caractéristique de l'amour courtois est la totale soumission du poète à sa belle. A l'époque féodale, la société était très hiérarchisée. Il y avait un seigneur qui protégeait son vassal. En échange, ce serviteur devait obéissance et fidélité totale à son suzerain. On retrouve exactement le même schéma das l'amour courtois ou fin'amor (en occitan). La Dame occupe, tu l'as compris, la place du seigneur tandis que l'amoureux, celui du vassal.  

Je t'entends venir avec tes questions. Si la femme occupait une position tellement supérieure dans l'esprit des hommes, a-t-elle, pour autant, du pouvoir ou une quelconque autonomie ? En réalité, l'amour, le vrai, au Moyen-âge est mis entre parenthèses chez les nobles. Le mariage est toujours une affaire stratégique, permettant à des familles de s'allier. 
Ni les jeunes femmes, ni les jeunes hommes n'ont grand chose à dire dans le choix de leur époux(se). Comme je te l'ai dit, dans l'amour courtois, la femme est idéalisée. Ce n'est pas de la « vraie » Aliénor qu'on parle ici ; mais de l'image trop trop bien que s'en est fait le poète. Pas certain que Bernart le troubadour soit aussi galant avec les servantes de la cour d'Aquitaine...







jeudi 24 octobre 2013

Jean-Paul Sartre, Huis clos (1943)


Découvre trois individus complètement différents, qui ne se connaissent pas entre eux. Enferme-les dans un appartement pendant une période illimitée. Ca te fait penser à une nouvelle émission de télé-réalité ? Mais ici, pas d'éliminé... C'est la vision de l'enfer de Jean-Paul Sartre. Pour lui, pas de flammes, de démons et d'outils de torture ; l'enfer, c'est bel et bien les autres.

Jean-Paul Sartre a écrit cette pièce en ayant l'intention de la faire jouer par ses trois meilleurs amis. Mais le philosophe ne veut pas créer d'embrouille avec ses potes. Il se creuse la tête pour que chacun des rôles aient la même importance. Et voilà, Huis clos est né.

Avant d'aller plus loin dans mon explication, je veux te remémorer les bases de l'existentialisme, tu sais, cette philosophie de la moitité du 20e siècle ? Ca te semble hyper complexe ? Ca ne l'est pas tant que ça ! D'ailleurs, on pourrait résumer tout ça avec une seule phrase :

L'existence précède l'essence
Quésako ?


En gros, toi, moi et l'Humain avec un grand H, on est défini par ce qu'on fait. Jusque là, on avait tenter de mettre les humains dans des catégories et de leur faire croire que leur destin était déjà tout tracé.
Mais Sartre révolutionne tout ça ! Non, ta vie n'est pas prédéfinie par quoi que ce soit. Ce sont tes actes, tes choix qui vont te façonner, faire de toi qui tu es. Ton existence (ce que tu fais, vis) précède donc ton essence (qui tu es). Qui que tu sois, tu peux devenir très riche comme tu peux te retrouver à la rue !


L'homme se forme donc lui-même et maîtrise totalement son avenir. Et je peux te dire que c'est vraiment un concept nouveau à l'époque ! Jusqu'alors, l'humain était une marionnette manipulée par toutes sortes de croyances. L'homme était dans une attitude de soumission, de fatalité. Avec sa philosophie existentialiste, Sartre le libère des fils qui le tenait prisonnier. Le pantin devient un être capable de se prendre en mains, d'être responsable de son avenir.

Comme je te l'ai dit, il y a trois personnage dans Huis clos : le lâche Garcin, Inès l'homosexuelle et Estelle, la jeune mondaine. Ils se retrouvent en enfer car ils ont commis des fautes que je ne vous révélerais pas ici (on ne sait jamais, si mon article vous donne envie de lire la pièce...). Au fur et à mesure de la pièce, les trois personnages vont devenir dépendants des deux autres.

Garcin et Estelle sont amoureux l'un de l'autre. Ils pourraient donc former un couple et briser le triangle. Cependant, Garcin a besoin de convaincre Inès qu'il n'a pas été le lâche qu'elle croit. Inès, elle, est amoureuse d'Estelle et refuse de les laisser vivre leur amour. Du coup, Garcin ne parvient pas à aimer Estelle tant que Inès les observe.


Bref, ils pourraient essayer, chacun, de vivre l'éternité peinard dans leur coin. Mais Sartre a remarqué que l'humain, même s'il était 100 % libre et autonome, serait toujours soumis au regard des autres. Les autres peuvent te juger, te féliciter ou t'ignorer. Tu voudras toujours que tes choix et tes actes soient validés par les autres. En quelques sortes, les autres sont le dernier fil qui peut manipuler la marionnette humaine.
Quand Sartre dit que l'enfer c'est les autres, ne crois donc pas que c'est est un associal fini. Il remarque juste que les autres sont des miroirs de nous-même. Quand tu essayes de te construire, de te connaître, tu vas nécessairement intégrer les jugements, les regards et les pensées des gens qui t'entourent. Parfois, l'être humain dépend totalement du jugement d'autrui pour être lui-même et vit donc un enfer. C'est plus clair ?


Pour la petite histoire, Sartre a eu une relation avec Simone de Beauvoir. Elle a donné à l'existentialisme sa part de féminité (de féminisme) avec cette phrase : 
On ne naît pas femme, on le devient

A l'époque, la femme était vouée à être femme au foyer, mère et épouse. De Beauvoir révolutionne cette destinée déjà toute tracée. Ce n'est pas parce qu'on naît avec un sexe féminin que notre destin de femme est déjà prédéfini. Il faut le construire soi-même. 




vendredi 11 octobre 2013

L'incroyable projet d'Emile Zola

Le Naturalisme

Aujourd'hui, je te propose de quitter la poésie et de découvrir le projet un peu fou de Zola : les Rougon-Macquart ! Pour bien comprendre, je te propose d'abord de te souvenir de ce qu'est le naturalisme. Au commencement, il y avait le romantisme avec ses envolées lyriques et ses sentiments exacerbés. En art, bien souvent, chaque nouveau mouvement s'oppose au précédent. Les artistes trouvaient le romantisme un peu too much et voulait faire quelque chose de plus simple, de plus réel. Ce sera... le réalisme ! Mais dans le réalisme, il y a un petit groupe de gars qui veulent aller plus loin dans le trip réaliste. Ce seront les naturalistes. Ils veulent quelque chose de réel, c'est sûr, mais qui soit décrit de façon objective, scientifique ! Du coup, Zola, avant chacun de ses bouquins, mène de véritables enquêtes sur le terrain et prend pleins de notes pour tout replacer dans son histoire.



L'idée de Zola

Emile Zola, orphelin à 7 ans, veut vivre de sa plume. C'est louable, mais il faut bien se nourrir et se vêtir. Avant de trouver LA bonne idée qui le rendra célèbre, Zola enchaîne pleins de petits boulots différents. Il publie en 1867 Thérèse Raquin qui remporte un certain succès. En gros, Thérèse est mariée à son cousin Camille (ça commence fort). Toutes les semaines, Laurent, un pote de Camille vient souper avec eux mais bientôt, Thérèse et Laurent auront une liaison torride et chercheront à se débarrasser de Camille.

A côté du succès de ce livre, Zola s'inspire de La comédie humaine de Balzac. Mais lui va faire plus fort ; si si ! Il pense raconter l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire en 10 volumes. Je t'explique le principe : chaque volume se centrerait sur un des membres de la familles. Emporté dans son élan, Zola en écrit 20 donnant lieu à un arbre généalogique dingo ! Comme tu vois sur mon beau dessin, il est possible que des cousins aient des gosses ensemble.




Les Rougon-Macquart

Selon la théorie « scientifique » de Zola, le comportement de chacun est influencé par deux choses : l'hérédité (les gènes) et le milieu social dans lequel on vit (un quartier miteux ou une maison bourgeoise). Du coup, pour Zola, quoi que tu fasses, si t'as des parents foireux et un milieu social pourri, t'es grillé ; ton destin est foutu d'avance. Les romans du cycle des Rougon-Macquart alternent donc des ascensions sociales formidables suivies de descentes radicales dans la misère.





Ces personnages vont se retrouver dans toutes les sphères de la société du Second Empire. Du coup, les histoires de ces personnages seront des prétextes pour observer au microscope la société de l'époque : l'église, le commerce, l'armée, la politique, le monde ouvrier et l'organisation du travail.

Le projet de Zola a donc deux objectifs :
  1. faire des expériences avec les membres d'une famille, observer leur comportement et leur évolution (si untel épouse une autre, comment finiront leurs enfants?)
  2. dresser un portrait complet, objectif (scientifique même) de la société du Second empire.



Petit exemple pour vous que tu visualises le concept :
Gervaise Macquart, blanchisseuse (L'Assomoir) a un amant, Lantier, avec qui elle va avoir deux enfants Etienne Lantier, mineur (Germinal) et Jacques Lantier, mécanicien (La Bête Humaine). Il va l'abandonner à Paris. Elle va ensuite rencontrer un autre homme, Coupeau, qui vient d'une famille d'alcoolique et qui mourra d'ailleurs d'avoir trop bu. Avec lui, elle aura une fille, Anna Coupeau (Nana) qui finira dans le monde de la prostitution. Bref, en ayant un père alcoolique et en vivant dans les quartiers mal famés de Paris, pour Zola, on finit dans la prostitution.

Le Second Empire

Je te parle du Second Empire depuis 10 minutes et tu te demandes sans doutes quelles sont les particularités de l'époque. A ce moment-là, socialement,c'était assez tendu en fait... Le Second Empire commence en 1852, lorsque le président Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III, empereur des Français (rien que ça!).
Le milieu du XIXe siècle est synonyme de révolution économique. La politique économique favorise les audaces et les innovations car elle vise une relance après la dépression économique du début du siècle. On note le développement des chemins de fer, l'apparition des grands magasins, l'extraction de charbon pour faire fonctionner toutes les nouvelles machines,...
A côté de ça, Napoléon n'a pas trop l'appui des bourgeois et des libéraux. Il voudrait avoir l'appui des petites gens. Il supprime la loi Le Chapelier et autorise, du coup, la réunion des ouvriers et les grèves (comme dans Germinal, par exemple).

Cette époque peut donc être synonyme d'ascension sociale, mais aussi de désenchantements et de misère innommable  Zola raconte différents destins : ceux de riches marchands ou de pauvres ouvriers, brossant ainsi, au terme de ses 20 romans, un portrait ultra-complet de cette société.



Voilà, maintenant que tu sais tout sur l'oeuvre de Zola, tu pourras t'amuser à (re)lire les romans en essayant de retrouver qui est le fils, le cousin ou le frère de qui et tu pourras reconstruire l'arbre généalogique imaginé par l'auteur. 
 

vendredi 27 septembre 2013

Verlaine, Chanson d'automne (1866)

Je sais pas toi, mais cette atmosphère automnale m'a donné envie de chocolat chaud et de lecture au coin du feu. En parlant d'automne, je suis retombée sur le célèbre poème de Verlaine ; celui que tout le monde connaît ! Si, si, c'est Chanson d'automne ; tu sais, le fameux poème utilisé par les Anglais pour annoncer le débarquement de juin 44.

Alors, je te préviens, c'est pas super joyeux ! C'est même plutôt tristounet... C'est l'automne de jours pluvieux et venteux quoi... Ca commence comme ça :

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone
 



Je ne sais pas si t'as remarqué, mais les vers sont super courts (genre, un seul mot parfois !). Ce n'était vraiment pas courant chez les poètes de l'époque. Flemmard, le Verlaine ? Pas inspiré ? Non, rien de tout ça ! La brièveté des vers donne au poème un rythme particulier ; proche de celui d'une chanson. Note que t'aurais pu t'en douter en voyant le titre ; il ne laisse aucun suspense à ce sujet ! Bref, pas besoin d'être romaniste pour mettre à jour cette première particularité !
Pour être tout à fait certain que toi, lecteur, tu captes bien qu'il est à fond dans son trip musical, Verlaine recourt plusieurs fois à un vocabulaire provenant du domaine musical. Bref, Verlaine veut attirer ton attention sur la musicalité de ses poèmes ; elle prime sur le reste. C'est super important pour lui ! Un de ses poèmes débutent d'ailleurs par cette règle : "De la musique avant toute chose". Why not !

Bon bon assez parler musique ! Qu'est-ce que Verlaine veut te raconter ? Cette première strophe plante le décor : l'automne (mais l'automne tristoune, synonyme de l'approche du froid, de l'hiver, de la mort quoi ! Pas celui où tu gambades dans les feuilles mortes...) et la mélancolie. Pas vraiment rigolo le Verlaine. 

Bon, on poursuit...



Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure



Le paysage qui est décrit ici reflète ce que le poète ressent. C'est une technique bien connue en poésie. Pour que toi, lecteur, tu aies une véritable idée de la souffrance qu'il endure, Verlaine te décris des paysages déprimants. Avec ça, tu vois ce qu'il veut dire et du coup, t'es dans la même humeur que lui ! Dans cette deuxième strophe, Verlaine te parle de lui. Au cas où tu doutes de mes affirmations, notes les deux « je ». Son état physique et psychologique est clairement alarmant ; aussi déprimant que la mélancolie et l'approche de la mort de la première strophe. Dans ce poème, il y a donc bien un parallèle entre le poète (plutôt son âme) et l'automne. CQFD (ça fait scientifique, j'aime encore bien!)

Et pour finir en beauté :

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
feuille morte





Enfin, pour bien nous saper le moral, Verlaine insiste, dans cette troisième et dernière strophe, sur la fatalité. Le poète sait que sa fin est proche et, au lieu de se prendre la tête, il choisit de se laisser aller là où le destin le mènera. Remarque que Verlaine ne se met pas à décrire l'automne comme le ferais ta petite soeur dans sa rédaction (genre feuilles de toutes les couleurs, sauter dans les flaques et courir dans les feuilles mortes). Non, Verlaine, lui, il suggère l'automne avec des petits indices placés par-ci par-là : vent mauvais, feuille morte. Un peu comme les peintres impressionnistes, me demandera le connaisseur en art que tu es. Et je te répondrais que tu as raison ! Verlaine disperse de petites touches qui, au final, nous font comprendre l'image (pas très heureuse) que le poète se fait de l'automne.

Comme je te l'ai dit au début, ce poème a occupé une place dans l'Histoire avec un grand H. La première strophe de ce poème - ou plutôt cette chanson (shame on me, je ne retiens pas mes propres leçons) - a été diffusée par Radio Londres peu de temps avant le débarquement de Normandie. Il était destiné au réseau de résistance Ventriloquist. Bon, après, des pointilleux affirment que le texte aurait été altéré et que l'on aurait dit "bercent mon coeur" au lieu de "blessent mon coeur". Plus réconfortant pour les résistants, sans doute... 

A ton avis, Verlaine aurait-il imaginé, en écrivant sa petite chanson mélancolique, que son texte marquerait un grand moment de l'histoire... ?




lundi 10 juin 2013

Joachim du Bellay, Heureux qui comme Ulysse (Les Regrets, 1558)

Salut salut ! Aujourd'hui, je te propose de (re)découvrir un texte de Joachim du Bellay. Tu connais sans doute le premier vers ! Joachim était un des membres de la Pléiade. La Pléiade, souviens-toi de l'article sur Ronsard (il était aussi dans la bande), c'est ce groupement d'intellos lettrés qui veulent que la langue française soit aussi classe que l'italien ; mieux même, qu'elle surpasse sa mère latine !



" Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge ! "

Du Bellay raconte ici son long voyage (j'ai un peu abusé sur mon dessin) en insistant sur le plaisir qu'il a eu de rentrer chez lui (home sweet home, comme dirait l'autre). Il se compare donc à Ulysse, le héros de l'Odyssée et à Jason. Ces deux grands noms de la littérature antique ont vécu des aventures de dingos ! Du Bellay, lui, veut le calme, la tranquillité ; un truc bien zen, quoi. A l'entendre, c'est comme si le plus grand kiff de son voyage était de retrouver son chez lui.


Tu t'en doutes, le poète va non seulement retrouver sa maison, mais aussi tous ses potes et sa famille. Oui, quand il dit "parents", c'est pas juste son père et sa mère... C'est tous ceux qui ont un lien de parenté avec lui. En gros, c'est la big fiesta quand il rentre au bercail !



"Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? "



Seulement, ce n'est pas si simple...  Joachim doit encore patienter un moment avant de rentrer chez lui et de fêter toute la nuit. Tout le quatrain que tu viens de lire décrit le logis que le poète a quitté. Tu peux remarquer, dans ce poème, que le côté matérialiste, attaché aux choses et à la terre, est très présent.



D'ailleurs, dans le dernier vers de ce quatrain, le poète explique que cet endroit représente beaucoup pour lui. Cette région, c'est sa province, sa patrie.

" Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine. "
 
Comme tu as pu t'en rendre compte, dans les deux derniers tercets, le poète compare des trucs qu'il a vus durant son voyage à Rome à des choses de sa propre région. C'est un chouia répétitif, tu trouves ? Les anaphores (c'est pour dire que ça se répète, mais c'est un plus joli mot) « Plus me plaît … que ... » se simplifient bientôt en « plus … que ... ». Du Bellay en aurait-il eu marre de répéter tout le temps la même formule ? Eh non. En fait, ça lui permet d'insister sur le début du vers ; sur ce qu'il préfère. Pour ne pas que tu t'endormes, le dernier vers rompt ce rythme et inverse carrément les éléments comparés. De la sorte, le poème se conclut sur la « doulceur angevine » qu'il aime plus que tout (mooooh).

 

Les références à l'Antiquité sont très nombreuses. Pour ton confort, j'ai listé les différentes choses à remarquer :
  • la forme du poème : un sonnet d'alexandrins
  • la présence de héros mythiques
  • les monuments, régions, cours d'eau et autres présents dans les deux tercets
Pourquoi, à ton avis ? (repense à ma petite intro)

Joachim du Bellay appartient donc à la Pléiade. Ils vont façonner la langue française en y ajoutant de nouveaux mots (ils n'avaient peur de rien !) et en lui donnant une littérature digne de ce nom. Et qu'est-ce qui est à la mode au 16e siècle ? C'est la Renaissance tiens ! On redécouvre l'Antiquité (qu'on avait un peu zappé pendant le Moyen âge). Ce qui est classe à l'époque, c'est donc ce qui est antique ! Ne ris pas, ce qui est classe aujourd'hui, c'est le vintage ; c'est du vieux aussi !


Dans ce poème, du Bellay imite et fait clairement référence à la littérature antique. Mais il le fait en langue française, et ça c'est beau ! Il cite aussi pleins d'éléments de la culture antique qu'il place toujours en position d'infériorité par rapport à la culture française qu'il défend avec fierté.

Ce poème a fait l'objet de plusieurs mises en musique. Dernièrement, Ridan a repris ce sonnet pour en faire cette chanson. Tu l'as sans doute déjà entendue. Si tu veux la (ré)écouter, n'hésite pas, clique par là : 

lundi 20 mai 2013

Mignonne, allons voir si la rose... (A Cassandre) Ronsard (1545)


Pierre de Ronsard a écrit un sonnet à sa chérie. Je vous vois d'ici : quelle époque romantique, quel homme galant, ce Ronsard... On n'en fait plus des ça aujourd'hui... Mais qui dit poème, ne dit pas forcément déclaration d'amour. Voyons si Ronsard est vraiment aussi galant qu'il en a l'air...



La première strophe, franchement, séduirait n'importe laquelle d'entre vous... Vrai, non ?

"Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit declose (ouvert)
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée (soir)
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.


Lors d'un bal, Pierre de Ronsard rencontre la jeune Cassandre. Il a 21 ans et elle n'en a que 13. Il tombe immédiatement sous le charme. Mais ce vieux Ronsard n'est pas dupe : Si elle est jeune et jolie aujourd'hui, elle finira par devenir vieille et moche moins jolie !


En grand romantique, Ronsard emmène sa douce gambader dans les roses. Il va même jusqu'à la comparer à cette fleur : elles ont toutes les deux une robe rouge qui s'ouvre au soleil (remarque l'érotisme de l'époque, quel coquin ce Ronsard) et un teint de pêche. Mooh :) C'est mignon tout plein.


Faisons un peu de théorie avant de continuer. Le poème débute par l'interpellation "mignonne", qui désigne la jeune Cassandre. Tout au long du poème, ce "mignonne" sera mis en évidence, séparé par des virgules. Le poète insiste donc sur la beauté de Cassandre (elle est vraiment trop mignonne). A vrai dire, c'est tout ce qu'on sait d'elle (peut-être qu'elle est complètement stupide) ! Dans cette première strophe, Ronsard compare sa belle à une rose ! Mignon, non ? Attendez la suite !


Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !



Hélas, les roses, si jolies le matin, ont perdu leur fraîcheur au cours de la nuit (vesprée). Le poète marque son désappointement en répétant trois fois "las".

En réalité, Ronsard est rusé ! Après l'avoir comparé aux roses, il l'emmène en voir. Malheureusement, entre temps, les roses ont fânés. Ronsard fait donc passer un message à la jeune fille : Ok tu es jeune et jolie, mais un jour, tu te fâneras comme ces fleurs ; la beauté ne dure qu'un bref instant ! Pas très galant, le Ronsard...


Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse : 
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

Mais Ronsard, qui est déjà passé par cette jeunesse, termine son poème par un conseil de vieux sage. Cassandre doit profiter de sa jeunesse et de sa beauté. Ainsi, quand elle sera vieille et flétrie, elle n'aura aucun regret...


Dans cette dernière strophe , on distingue clairement à quelle philosophie le poète fait référence : Carpe diem (cueille le jour // cueillez votre jeunesse). Ce thème de la beauté fânée et de l'invitation à profiter de sa jeunesse sera utilisé par de très nombreux poètes français et étrangers. Tous rencontrent une jeunette et, avec leur sagesse d'hommes plus mûrs, leur conseillent de profiter de cette jeunesse si vite passée.


Ainsi, un siècle plus tard, Corneille utilise à nouveau cette recette qui a fait ses preuves. On y retrouve tout : le carpe diem, les roses fânées et le poète jaloux de la jeunesse de son amante !

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis


Au 20e siècle, Brassens reprend le poème de Corneille pour le mettre en musique. Il y ajoute un couplet : la réponse de la Marquise ! Juge plutôt...

Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant,
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant !


Et toi, t'aurais répondu quoi à Ronsard et à Corneille ?

Demain, dès l'aube. Victor Hugo (1856)

On commence avec un poème ultra connu, que tu as sans doute dû réciter quand t'étais étudiant. Mais as-tu déjà pris le temps de bien observé comment ce grand Victor Hugo l'avait construit et as-tu ressenti tout le tragique du poème ! Regarde plutôt :

" Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne 
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. 
J'irai par la forêt, j'irai par les montagne. 
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps."


Le poète est déterminé à partir dès demain ! Il se dit prêt à traverser des forêts et des montagnes. Le chemin semble long jusqu'au mystérieux but du poète.  A ce moment du poème, la grande question que tu te poses est sans doute : Mais qui est donc cette personne qui l'attend ? Son amante (Hugo était un peu coureur de jupons) ? En tout cas, tout laisse penser que c'est une personne pour laquelle il serait prêt à tout...



Dans ce premier quatrain, le poète (je) s'adresse à un "tu" dont tu ignores tout. En étant rejeté au début du deuxième vers, le verbe PARTIR met en évident l'idée d'un départ, d'un mouvement. Le poète parle d'une intention qu'il réalisera sous peu. Il s'agit d'un futur proche. Ce qui anime le poète, c'est la volonté d'un rapprochement entre son "je" et ce "tu". 


" Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, 
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, 
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, 
 Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit."


Chose étrange, toutefois... Le poète semble en pleine prise de tête avec lui-même. Il regarde à l'intérieur de ses propres pensées. Autour de lui, tout semble flou. Il ne regarde pas la direction qu'il suit ; il ne fixe pas son objectif. Ce quatrain plombe un peu l'ambiance. Tu t'attendais à ce qu'il soit tout emballé de retrouver ce mystérieux "tu"... Et en fait, non.



Un sentiment de solitude et de tristesse envahit le poème. Tu ne comprends plus grand chose... Où se rend le poète ? Qui est ce "tu" ? Je te vois gagné par le suspens...



Au niveau de la forme, ce deuxième quatrain est marqué par la tristesse et la nostalgie. Remarque les nombreuses virgules qui rythment cette strophe. Dans les 3 premiers vers, le nombre de virgules double à chaque nouveau vers. Cette technique rend la lecture, comme la marche du poète, de plus en plus lente. Dans ce quatrain, le "tu" est absent ; le poète te parle uniquement de lui.


" Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,  
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe 
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur."

Tout comme le poème, le voyage touche à sa fin. Tu viens enfin de découvrir ce que le poète avait derrière la tête : déposer un bouquet sur la tombe du fameux "tu". Je te vois déçu que ce suspens intenable soit rompu de la sorte... Mais reconnaît que, du coup, ça te fous un sacré coup au moral.


Ce dernier quatrain nous apprend l'endroit où souhaite se rendre le poète : une tombe. "Tombe" constitue une rime riche et t'annonce, dès le premier vers, la triste issue du poème. Cette rime est contrebalancée par une autre : "fleur". Ces deux seules rimes te résument le projet du poète.
On retrouve le "tu" sous la forme d'un pronom possessif : TA tombe, qui symbolise aujourd'hui ce "tu" disparu.





Je te vois frustré. Je n'ai toujours pas répondu à ta question. Mais qui est ce "tu" pour finir ?! Ce "tu", c'est Léopoldine, la fille de Victor Hugo, morte noyée quelques années plus tôt. A l'anniversaire de sa mort, le poète faisait un pèlerinage jusqu'à sa tombe. Exilé suite à certaines de ses publications (à l'époque on n'écrivait pas trop ce qu'on voulait), Hugo souffre de ne pouvoir y aller cette année-là.  Le recueil Les Contemplations comprend toute une partie sur le thème du deuil, de la nostalgie et de la douleur éprouvée par un père lorsqu'il perd sa fille. 

Ok, je te l'accorde, j'ai plombé l'ambiance. Mais quand tu ne réciteras plus ce poème comme un âne. Maintenant que tu sais tout, t'éprouveras un peu de compassion pour ce pauvre Victor.